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Les manifestations anti-Poutine perturbent le retour au Kremlin de l'homme fort de Russie. Loin de s'essouffler, le mouvement de contestation cherche à s'adapter.
Vladimir Poutine, fraîchement intronisé président de la Fédération de Russie pour un troisième mandat, se serait bien passé des manifestations qui ont entaché son retour au Kremlin. Lundi soir, quelques centaines d'opposants se sont installés dans le quartier de Kitaï-Gorod, dans le centre de Moscou, pour un sit-in festif rappelant les indignés d'Occupy Wall Street, à New York. Délogés par la police et malgré une vague d'arrestations, ils ont investi mardi soir un autre endroit, la place Pouchkine.
Dimanche 5 mai, entre 8 000 et 30 000 personnes s'étaient rassemblées dans la capitale pour contester une investiture illégitime, selon eux, en raison des fraudes observées lors des récentes élections législatives et présidentielle. C'est moins qu'en décembre, quand près de 100 000 personnes étaient descendues dans la rue. Mais rien n'indique que les mécontents s'essoufflent face à un pouvoir intransigeant et à une population supposément docile. Bien au contraire.
La partie émergée de l'iceberg
"Il est bien sûr impossible de prédire l'avenir du mouvement, puisque les acteurs eux-mêmes ne savent pas quelles techniques adopter", estime Lou Brenez, docteure en science politique et membre du CEVIPOL de l'Université libre de Bruxelles. "Cependant, les évènements observés ces derniers mois ne résultent pas d'une simple montée de fièvre. Ils reflètent plutôt une lame de fond. Le peuple russe n'est pas aussi amorphe qu'on pouvait le croire. Les citoyens sont fatigués du manque de respect à leur égard, des fraudes et de la corruption subies au quotidien", ajoute t-elle.
Vladimir Poutine a longtemps profité d'une large popularité. Après les années chaotiques du mandat de Boris Eltsine (1991-1999), la "stabilité", mot d'ordre de l'homme fort de Russie, était perçue comme la contrepartie profitable d'un régime autoritaire. Mais après treize ans passés au sommet de l'Etat, comme président et premier ministre, le voici confronté au désir de pluralisme des classes moyennes et aisées : "Les gens veulent consommer plus de biens économiques, mais aussi politiques. Ils veulent avoir le choix", observe Lou Brenez.
Un changement de donne que le chef de l'Etat continue de sous-estimer. "Passé en force le 4 mars, avec 64% des voix, au cours d'une élection absolument contestable, Vladimir Poutine est persuadé qu'il est bien installé au pouvoir et que seule une minorité d'individus remet en question sa légitimité", assure Marie Mendras, politologue au Centre d'études et de recherches internationales (CERI). Et d'ajouter: "Il cherche à marginaliser et à ridiculiser ces quelques dizaines de milliers de militants. Mais il ne voit que la partie émergée de l'iceberg".
Vers une intensification de la répression ?
La violence policière, ces derniers jours, fait craindre un durcissement du gouvernement. De nombreuses vidéos montrent le passage à tabac de manifestants par les forces de sécurité, qui ont interpellé plus de 700 personnes depuis dimanche, dont le leader du Front de Gauche, Sergueï Oudaltsov, et le blogueur anti-corruption Alexeï Navalny. Le pouvoir est confronté à un dilemme : comment disperser les militants sans les faire passer pour des martyrs et sans donner plus d'écho à leurs revendications? "Vladimir Poutine n'ira pas beaucoup plus loin dans la répression physique, à moins de recourir à la répression armée, précise Marie Mendras. C'est un risque que le régime ne peut pas prendre".
Pour mieux comprendre
"Contester par l'action collective dans la Russie des années 2000",Critique internationale,55, avril-juin 2012
Lou Brenez, Aude Merlin(dir.), "L'opposition politique en Russie aujourd'hui. Enjeux et limites",Revue d'Etudes comparatives Est-Ouest, 42, Mars 2011
Marie Mendras, Russie: l'envers du pouvoir, (Odile Jacob, 2008)
Masha Gessen, Poutine : l'homme sans visage, (Fayard, 2012)
Tania Rakhmanova, Au coeur du pouvoir russe: enquête sur l'empire Poutine, (La Découverte, 2012)
Pour l'opposition, il s'agit désormais de s'organiser et de s'adapter. D'où les nouvelles formes de mobilisation telles que les sit-in et les"promenades" nocturnes. Alexis Prokopiev, jeune Franco-Russe diplômé de Sciences Po Paris et membre de l'association Russie-Libertés, assure que la détermination des militants ne faiblit pas. La grève de la faim menée il y a peu à Astrakhan par Oleg Cheïn, afin de dénoncer les fraudes qui auraient empêché sa victoire à l'élection municipale, montre que la mobilisation s'étend à l'échelle régionale. "Les points rouges de contestation sur la carte de la Russie, que Vladimir Poutine regarde depuis son bureau, vont continuer de s'allumer de partout. Le bras de fer va continuer", espère Alexis Prokopiev.
Comment le gouvernement compte-t-il réagir ? Les récentes réformes pour faciliter la création des partis politiques et favoriser l'élection directe des gouverneurs peuvent être interprétées comme une ouverture démocratique...mais aussi comme une stratégie destinée à diviser une opposition très hétéroclite. Pour Alexis, "tout dépendra de la sagesse des membres de l'opposition et de leur capacité à former des coalitions".